Togo : mobilisation citoyenne, réseaux sociaux et défi de la gouvernance – une analyse lucide

Une mobilisation née de la faim et du désespoir

Depuis l’arrestation de l’artiste Tala Amron le 27 mai, jusqu’à sa libération le 21 juin, une vague de contestation populaire a émergé. Portée par des blogueurs et influenceurs, elle s’est concrétisée par des appels à manifester, notamment les 6, 26, 27 et 28 juin. Le mot d’ordre principal : la misère. Une misère qui se généralise au Togo, selon l’analyste. Accès limité à l’électricité, routes dégradées, services hospitaliers défaillants, inondations récurrentes, et difficultés à assurer deux repas par jour sont évoqués comme les déclencheurs de cette colère populaire.

La puissance des réseaux sociaux

Comme en 2017 avec les mobilisations orchestrées via WhatsApp, les réseaux sociaux – en particulier TikTok – ont joué un rôle clé. Le journaliste rappelle comment Tikpi Atchadam avait, à l’époque, sillonné le pays pour éduquer les citoyens à une autre vision de la gouvernance. Aujourd’hui, les jeunes se tournent vers TikTok, non seulement pour se divertir, mais pour se mobiliser et s’informer.

Blogueurs contre institutions : un vide politique exploité

Face à la perte de crédibilité des partis politiques et des organisations de la société civile – exacerbée par le boycott des législatives de 2018 et des municipales de 2019 – un vide politique s’est installé. Et la nature ayant horreur du vide, ce sont des blogueurs, parfois perçus comme peu structurés, qui s’y sont engouffrés. Pour l’analyste, ces figures émergentes manquent toutefois de culture politique, de structuration, et n’ont pas su capitaliser sur la dynamique populaire amorcée.

Le déséquilibre des forces : quand la misère dicte le vote

Une autre cause du déclin de l’opposition, selon l’invité, est l’absence de moyens. Le financement des partis politiques, pourtant inscrit dans la Constitution togolaise de 1992, reste marginal. Lors des élections, les partis au pouvoir disposent de ressources leur permettant de distribuer riz, spaghetti et argent dans les villages, alors que l’opposition n’a que des promesses d’avenir à offrir. En l’absence de maturité politique suffisante, les populations affamées votent selon leurs besoins immédiats.

L’éducation politique, un maillon faible

Le constat est amer : l’opposition a failli à sa mission d’éducation politique. Contrairement à d’autres pays ouest-africains où les militants cotisent et participent à des réunions régulières, au Togo, rares sont ceux qui nourrissent la vie partisane. Cette carence affaiblit toute capacité à structurer un mouvement pérenne.

Des clivages contre-productifs

Les relations entre influenceurs et leaders politiques sont entachées de méfiance. L’analyste regrette les insultes et le dénigrement à l’égard de figures de l’opposition comme Jean-Pierre Fabre. L’absence de synergie entre les nouveaux visages du militantisme numérique et les anciennes structures empêche de construire une force commune, capable de proposer un projet alternatif crédible.

La question de la légalité et de la coordination

L’appel à manifester sur internet, sans structure officielle pour dialoguer avec les autorités, pose des défis en matière de sécurité et d’organisation. L’exemple du Balai Citoyen au Burkina Faso est cité : reconnu par l’État, ce mouvement avait su fédérer société civile et partis politiques autour d’un objectif commun, aboutissant à la chute de Blaise Compaoré en 2014. Au Togo, une telle alliance fait encore défaut.

Un appel à l’union et au dialogue

Le journaliste insiste : seul un front uni entre partis politiques, organisations légales et influenceurs permettra d’amplifier la mobilisation. Les événements du 6, 26, 27 et 28 juin, bien que significatifs, sont restés limités géographiquement, notamment à Lomé. Pire encore, les violences policières, les arrestations et les décès survenus lors de ces manifestations ont refroidi l’élan populaire.

Vers une sortie de crise ?

Pour sortir de l’impasse, il préconise un dialogue national inclusif, allant jusqu’à proposer une amnistie générale pour les exilés politiques. Le retour des cerveaux en exil est, selon lui, vital pour reconstruire la nation. Il plaide pour une gouvernance plus équitable, une justice sociale véritable et un allègement du coût de la vie à travers la subvention des produits de première nécessité, la baisse des prix du carburant et une meilleure gestion des finances publiques.

En conclusion

La jeunesse togolaise a exprimé un ras-le-bol légitime. Les blogueurs ont su faire entendre cette voix, mais l’absence de coordination avec les structures existantes a limité l’impact du mouvement. Pour espérer un changement durable, le Togo a besoin d’un sursaut collectif, d’une réconciliation entre anciens et nouveaux acteurs de la lutte, et surtout, d’un État à l’écoute de son peuple.

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